Béatrice Métraux

Département des institutions et de la sécurité

«Notre but est de prendre en charge chaque détenu de manière adéquate»

Connue pour sa maîtrise parfaite des dossiers, la conseillère d’Etat Béatrice Métraux doit gérer un département épineux. Celui des institutions et de la sécurité. Quelles sont ses priorités dans les mois à venir ? Interview.

Quels sont les principaux défis de votre département ces prochains mois ?

Le grand défi qui occupe mon département depuis plusieurs années est la lutte contre la surpopulation carcérale. En septembre dernier, le Grand Conseil a voté 12 millions de francs de crédit d’étude pour construire en plusieurs étapes 410 places d’ici 2025-2030. Les 200 premières devraient apparaître vers 2023-2025. La deuxième phase est prévue pour 2030. En attendant, le Conseil d’Etat a chargé le Département des finances et le mien de trouver une solution d’urgence pour les personnes détenues avant jugement (23 heures sur 24 heures en cellule et une heure de promenade). Il convient tout d’abord de trouver un lieu d’implantation de la structure d’urgence. De manière générale, notre but n’est toutefois pas uniquement de construire des cellules, mais de parvenir à prendre en charge chaque détenu de manière adéquate. Afin de débattre de ces questions, le Grand Conseil m’a demandé de mettre sur pied les Assises de la chaîne pénale. Elles ont eu lieu le 10 décembre. Elles ont réuni tous les acteurs de la chaîne pénale et ont notamment porté sur les alternatives à la prison : bracelet électronique, travail d’intérêt général. Ce sont des pistes à explorer pour tenter de résoudre l’équation « moins de prison, plus de réinsertion ».

Votre autre priorité ?

Un autre grand thème dans mon Département ces prochains mois est la révision de la loi sur l’exercice des droits politiques. Les dernières élections communales et cantonales ont montré que cette loi, fondamentale pour le bon fonctionnement des institutions, doit évoluer avec son temps. Par ailleurs, les députés ont également déposé une quinzaine d’objets parlementaires sur le sujet. La révision totale de la loi est maintenant à bout touchant. Un avant-projet sera présenté en début d’année au Conseil d’Etat et sera ensuite soumis à une large consultation jusqu’à l’été. L’idée maîtresse étant de renforcer la démocratie et de soutenir la participation des électeurs à la vie politique.

Votre département va mener des essais de vote électronique jusqu’à fin 2019, quel est le but de cette démarche ?

Cette démarche est une réponse à une requête du Grand Conseil, ainsi que de la Confédération qui souhaite que le vote électronique devienne à terme un canal de vote ordinaire. Il s’agit également de répondre à un souhait des Vaudois établis à l’étranger, puisque ces essais d’adressent directement à ces citoyens. Le vote électronique doit faciliter leur participation à la démocratie directe. Lors de l’essai du 25 novembre 2018, 66% des Suisses de l’étranger qui ont voté l’on fait via le vote électronique. C’est dire l’importance que les Suisses de l’étranger accordent à cette manière de voter.

A quel horizon espérez-vous introduire le vote électronique ?

La Confédération a accordé une autorisation au canton de Vaud pour effectuer ces essais jusqu’à fin 2019. Comme cela a été prévu par le Grand Conseil, le Conseil d’Etat en fera ensuite un bilan avant d’envisager la suite. Rien n’est décidé à ce jour.

Vous avez mis sur pied un dispositif de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, concrètement cela se passe comment ?

Concrètement, nous avons souhaité mettre en place un dispositif qui allie une permanence téléphonique, avec un numéro gratuit 0800 88 44 00, qui est à disposition de la population vaudoise, et une plateforme souple et flexible de prise en charge des cas individuels. Dans son fonctionnement, cette plateforme peut faire appel aux professionnels concernés en fonction des situations signalées. Ce groupe opérationnel, peut également solliciter des partenaires externes à l’Etat. Son rôle est de proposer les mesures permettent de sortir les personnes d’un cycle de radicalisation et de les réinsérer. Avec ce dispositif, nous voulons prévenir la rupture familiale, scolaire ou encore professionnelle et maintenir le lien avec ces personnes. Il s’inscrit pleinement dans le cadre du Plan d’action national en la matière.

Un autre dossier qui vous tient à cœur, la construction, en deux étapes, de l’établissement des Grands-Marais au sein du Complexe pénitentiaire de la Plaine de l’Orbe, pourquoi est-il essentiel ?

Il est essentiel à plusieurs titres. Tout d’abord, il doit contribuer à maîtriser la surpopulation carcérale. Après des décennies de sous-investissements dans le domaine pénitentiaire, le canton de Vaud doit rattraper du retard. Nous avons déjà aménagé ou ouvert 250 nouvelles cellules en 3 ans, mais cela ne suffit pas. La criminalité a évolué, comme le nombre de détenus (plus de 1000 à l’heure actuelle). Aujourd’hui, par exemple, nous manquons de place en détention avant-jugement et en exécution des peines, il s’agit donc d’assurer une prise en charge des détenus qui soit adaptée. Nous devons également garantir un cadre de travail adéquat aux collaborateurs.

On dit que sur ce projet l’unanimité au sein du Conseil d’Etat est de façade, c’est une réalité ?

Le Conseil d’Etat est unanime sur ce projet. Je rappelle qu’il avait déjà soutenu la planification des infrastructures pénitentiaires en 2014. Depuis, l’effectif du Service pénitentiaire a augmenté de 40%, ce qui montre bien l’engagement du Conseil d’Etat en la matière. Le Grand Conseil a, lui, voté le crédit d’étude pour les Grands-Marais par 117 voix contre 1 et 3 abstentions.

Quelles sont les conséquences de la surpopulation en prison pour les détenus ?

D’une manière générale, le manque de places engendre la surpopulation carcérale d’environ 140% tous établissements confondus. L’une des conséquences est le placement de deux détenus par cellule à la prison du Bois-Mermet à Lausanne. Une situation que ne prévoyait pas le bâtiment à l’origine.

La mendicité est interdite depuis le 1er novembre 2018 sur l’ensemble du territoire vaudois, pourquoi cette interdiction ?

Il faut rappeler que le texte en question n’est pas le fait du Conseil d’Etat, mais celui d’une initiative UDC qui a recueilli plus de 15 000 signatures. Elle a été ensuite acceptée par le Grand Conseil. Le gouvernement a donc fait entrer en vigueur cette modification de la loi pénale vaudoise voulue par les députés. Toutefois, le Conseil d’Etat s’était engagé à proposer au Grand Conseil d’introduire un régime d’exception pour la mendicité occasionnelle et qui répond à des cas de nécessité avérée. Il va également proposer d’introduire une disposition permettant aux corps de police de prononcer des interdictions de périmètre. Les mendiants ne sont pas un groupe homogène de personnes. Nous devons donc prendre en considération chaque cas. Un projet comprenant ces éléments sera soumis prochainement au Grand Conseil.

Quels sont les dispositifs mis en place pour punir les contrevenants ?

Avec la modification de la loi pénale vaudoise, il appartient aux communes urbaines, les plus concernées, via leurs polices communales et intercommunales, de faire respecter cette décision. Le Conseil d’Etat leur donne les outils nécessaires pour agir. La loi prévoit de réprimer la mendicité par une amende allant de 50 à 100 francs. Des actes aggravés, comme mendier avec des personnes mineures ou dépendantes peuvent en outre donner lieu à une répression plus sévère allant jusqu’à 2000 francs. Concrètement, comme pour d’autres infractions, le policier verbalise et ensuite la préfecture rend une ordonnance. Il est toutefois important de se rendre compte que la très grande majorité des villes du canton avaient déjà introduit l’interdiction de la mendicité.

Comment évolue la criminalité ces dernières années dans le canton de Vaud ?

Elle évolue à la baisse, fort heureusement. Depuis 2013, les infractions au code pénal ont diminué de 40% dans le canton. Les raisons sont multiples. La baisse enregistrée est le fruit de la collaboration entre les différentes Polices, de l’engagement du Ministère public dans l’opération Strada pour lutter à la fois contre le deal de drogue et contre les vols, enfin, de l’engagement du Service pénitentiaire qui a fait un gros effort depuis 2012. En dépit de ces résultats positifs, il faut s’abstenir de tout triomphalisme en la matière et rester humbles. Des problèmes subsistent, comme celui des vols à l’astuce, de la cybercriminalité, ou le deal de rue. Cette dernière problématique fait l’objet d’une réflexion du Conseil d’Etat qui devrait apporter des réponses tant sanitaires que sécuritaires ou éducatives aux demandes du Grand Conseil.

Comment faire encore mieux ?

Nous avons mis en place un certain nombre de mesures qui portent leurs fruits, comme par exemple la création de la brigade qui lutte contre les cambriolages et la prévention accrue en la matière, ont permis de faire baisser de manière importante ce type de délits. Nous allons poursuivre ces actions et cibler d’autres phénomènes qui nous préoccupent, comme les escroqueries, qui sont en augmentation. La criminalité est évolutive et n’a plus de frontières, nous devons sans cesse adapter nos moyens pour la contrer. Mais la politique mise en place, basée sur 3 piliers indissociables – coordination, prévention, répression – fonctionne et sera poursuivie. Et nous appuierons le développement de la police de proximité et veillerons à l’amélioration de la coordination entre les différents corps de police vaudois.

Dans votre carrière, vous vous êtes beaucoup impliquée contre le racisme, comment évolue-t-il en terres vaudoises ?

J’ai en effet beaucoup étudié cette problématique lorsque je travaillais à l’Institut suisse de droit comparé, notamment la question du racisme liée à Internet au niveau international. Lors d’une recherche effectuée en 2000, nous avions évalué à l’époque les sites racistes à 5000 et l’augmentation était exponentielle depuis 1995 (160 sites). Avec l’essor des réseaux sociaux, la croissance des références racistes sur Internet n’a certainement pas fléchi, dans le canton de Vaud, comme ailleurs. Il reste donc bien des choses à faire en la matière. Nous avons une responsabilité envers les jeunes générations. Nous devons continuer de leur montrer que certains propos sont inconcevables et ne doivent pas être proférés en toute liberté.