Cesla Amarelle

Département de la formation, de la jeunesse et de la culture

 

« Accéder à la connaissance demande de comprendre et de maîtriser le numérique »

Cheffe du département de la formation, de la jeunesse et de la culture, Cesla Amarelle a su très rapidement imprimer son style au sein du Conseil d’Etat. En misant notamment sur une meilleure intégration des élèves et une stratégie numérique dans les écoles. Interview.

Le métier d’enseignant a passablement changé, fait-il encore rêver ?

J’espère bien ! Mais vous parlez à une Conseillère d’Etat qui a enseigné et écrit des ouvrages d’enseignement, alors je ne suis peut-être pas complètement objective. C’est sûr, la période que nous traversons est particulièrement mouvante, notamment à cause de grands changements dans notre société comme la numérisation. Avec ces changements, la notion même de savoir évolue. Celui qui sait chercher de nombreuses réponses est peut-être aujourd’hui mieux armé que celui qui en connait quelque unes par cœur… Le métier de la transmission du savoir évolue donc forcément. Et il y a aussi la diversité des profils des élèves dans une école que nous voulons inclusive, ils sont indéniablement plus variés. En résumé, je dirai que même si ce métier rencontre de nouveaux défis, il est porté par des personnes qui ont la passion, le sens du rôle de l’école, l’envie d’apprendre aux élèves à penser et à être des citoyens. Des femmes et des hommes qui, tous les jours, font en sorte que dans leur classe, chaque élève se sente à sa place, quelle que soit son origine ou ses capacités. Qui cherche à leur donner des outils comme l’esprit critique, la volonté de collaboration. Donc tant que cette responsabilité et que cette flamme seront les moteurs des enseignants, je pense que oui, ce beau métier fera encore rêver. Qu’il soit question d’histoire sur un tableau noir ou de puissance des algorithmes sur un écran connecté.

Mais l’enseignement est-il justement adapté à la digitalisation de nos sociétés ? Ou faut-il davantage transmettre des connaissances en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle ou encore de programmation informatique ?

Dans le monde d’aujourd’hui, accéder à la connaissance demande d’être capable de comprendre et de maîtriser le numérique. Et ça ne veut pas dire savoir utiliser un ordinateur ou un smartphone à la perfection, ça c’est simplement utile. Il s’agit surtout d’appréhender comment et pourquoi ça marche ! La numérisation touche aujourd’hui l’ensemble des domaines de l’activité humaine : l’Etat interagit avec ses citoyens par la cyberadministration, les entreprises sont en pleine révolution industrielle 4.0, la formation propose des MOOC’s, les futurs soignants apprennent les gestes qui sauvent des vies en réalité virtuelle… La capacité à maîtriser le numérique est donc devenue une nécessité. L’école a la responsabilité de préparer les citoyens d’aujourd’hui et de demain à ces réalités. J’en ai donc fait une priorité du DFJC. Et nous allons relever ce défi par la maîtrise de trois piliers stratégiques : la science informatique, l’usage des outils numériques et l’éducation aux médias numériques. Nous tenons à ce que l’introduction de l’éducation numérique dans les écoles se fasse avec discernement, progressivement, mais dès le plus jeune âge. Nous commençons à former les enseignants, qui sont nos partenaires dans cette démarche. Et plusieurs établissements mènent des projets-pilotes, depuis le début de l’année scolaire 2018-2019. Leurs résultats, les retours des enseignants, des élèves, des parents aussi, alimenteront notre politique générale, celle qui sera développée pour l’ensemble de l’école vaudoise ces prochaines années. Et dans toutes ces démarches nous prenons garde aux solutions toutes faites proposées par l’industrie de l’informatique et des réseaux. Nous plaçons le partage des savoirs et la collaboration comme principes clés du développement de l’éducation numérique vaudoise.

Vous menez un test d’interdiction des portables à l’école depuis quatre mois, pourquoi ?

Ça peut paraître paradoxal avec le fait de vouloir proposer une véritable éducation au numérique dans l’école vaudoise… mais ça ne l’est pas du tout en fait. Le téléphone portable peut être un formidable outil si l’humain est au centre. Pas si l’humain subit le téléphone portable, pas si l’élève ne comprend pas l’appareil tactile, séduisant, moderne et interactif à souhait qu’il a entre les mains. Si la société se numérise, le rôle de l’école lui, reste le même. On en a parlé : il s’agit, en plus d’instruire et de former, d’apprendre à penser. L’éducation numérique que nous mettons en place doit donc aussi permettre d’apprendre quand, où et de quelle manière utiliser les outils numériques, par exemple le téléphone portable. Nous avons considéré avec l’appui de spécialistes dans le domaine, qu’en l’état, l’utilisation des téléphones portables dans le cadre de l’école, sans encadrement spécifique, n’était pas adaptée. Avant d’élargir la décision d’interdiction, nous avons voulu la tester, durant quelques mois, dans des établissements, les mêmes qui expérimentent en ce moment l’éducation numérique. Et je dois vous dire que je suis surprise. Tous les retours sont extrêmement positifs. De la part des enseignants, des directeurs, des parents, mais surtout des élèves eux-mêmes ! Une récente étude de la Radio Télévision Suisse (RTS) pour le Digital Day, montre d’ailleurs que les jeunes se préoccupent de leur cyberdépendance. Que la moitié d’entre eux a besoin de se déconnecter de temps en temps et qu’ils attendent de l’école, des informations et des débats sur le sujet. Nous répondons à ces besoins. L’interdiction du portable n’est pas un rejet du numérique. Bien au contraire, c’est une mesure qui fait partie de l’éducation numérique. Une fois celle-ci bien en place et dans quelque temps, il sera alors peut-être inutile d’interdire, puisque l’outil sera complètement apprivoisé par l’élève et non l’inverse.

Quels sont les principaux défis de votre département ces prochains mois ?

A côté de l’éducation au numérique, il y a beaucoup d’autres défis importants. Prenons la formation professionnelle. Dans le canton de Vaud la filière de l’apprentissage n’est pas assez valorisée. Les chiffres, en comparaison nationale, ne trompent pas. Trop peu de Vaudois font de cette voie leur premier choix. Et comme la garantie de la cohésion sociale des Vaudois est au cœur du Programme de législature 2017-2022 du Conseil d’Etat, il est grand temps de revaloriser cette filière. C’est pour moi l’une des clés pour que chaque jeune sortant de l’école obligatoire trouve une solution d’avenir. Le DFJC s’y emploie depuis l’été 2017 : nous voulons plus de qualité, plus de promotion mais aussi plus de places d’apprentissage : nous visons 1000 places supplémentaires dans le canton d’ici à la fin de la législature en 2022.

Et pour les élèves ayant des besoins spécifiques ?

L’intégration scolaire est un autre défi qui me tient à cœur. Que ce soit pour des élèves avec des besoins de pédagogie spécialisée, celles et ceux qui ont besoin d’un cadre socio-éducatif ou encore les élèves allophones. Toutes et tous doivent trouver, dans notre école, des réponses à leurs besoins. C’est pourquoi nous avons décidé d’un concept cantonal que nous appelons « Vision à 360° » des besoins de l’école et des élèves. Une vision transversale entre les services, les types d’aides et les différents professionnels, qui ne vise qu’une chose : l’intégration et la réussite scolaire de toutes et tous. Nous nous appuierons pour cela sur la Loi sur la pédagogie spécialisée (LPS), votée en 2015 par le Grand Conseil et dont nous écrivons la mise en œuvre. Elle devrait intervenir pour la rentrée 2019/2020. Nous testons des nouvelles formes d’appuis socio-éducatifs dans les classes de l’école obligatoire. Et nous avons créé l’Unité Migration Accueil qui va suivre les jeunes à trajectoire migratoire qui ont besoins particuliers pour réussir leur scolarité. Enfin, ces derniers mois ont malheureusement mis en lumière des dysfonctionnements dans les processus de protection de la jeunesse. Mais nous avons pris nos responsabilités. Un rapport d’expertise exhaustif de l’ancien Juge au Tribunal fédéral Claude Rouiller formule des recommandations, et nous faisons tout pour les mettre en œuvre rapidement, en nous appuyant sur nos équipes en places, dont le professionnalisme a été relevé dans ce rapport. Nous avons déjà pu, très rapidement, constituer une Commission interdisciplinaire d’éthique et de protection sous la présidence du spécialiste de la justice des mineurs Jean Zermatten. Cette commission sera à la disposition de la direction du SPJ, dès début 2019, pour les cas extrêmement complexes. De concert avec une réforme en profondeur et un véritable changement de culture, nous donnons les moyens au SPJ de remettre au centre des préoccupations sa mission de protection de l’enfant.

Vous êtes également en charge de la culture vaudoise, comment se porte-t-elle ?

Elle se porte très bien, mais elle est aussi en travaux… Dans le bon sens du terme ! Car le canton de Vaud a lancé l’un des plus gros chantiers de son histoire : le quartier des arts PLATEFORME 10, est en train de sortir de terre à deux pas de la gare de Lausanne. Nous aurons dès 2021 un écrin unique pour nos collections cantonales de beaux-arts, de photographie et de design. Je me réjouis beaucoup que l’Etat s’engage ainsi, aux côtés de mécènes privés, à faire rayonner la culture vaudoise. Que nous puissions ensemble offrir à la population un lieu d’une telle qualité, et surtout ouvert à toutes et tous, car la culture est au cœur du service public. Les autres musées cantonaux ne sont pas en reste. Ils vont aussi connaître des investissements structurels inédits dans les années qui viennent. Je pense au réaménagement des espaces du Palais de Rumine pour en faire un pôle d’attraction fort au niveau scientifique et historique, un lien fort aussi avec les milieux académiques de l’université et des Hautes Ecoles. Il y a aussi la mise en valeur d’Avenches qui est en cours, avec l’ambition de faire briller l’antique capitale de l’Helvétie romaine. Enfin, la politique du livre et de la lecture concentre les efforts du Service des Affaires culturelles depuis déjà plusieurs années, avec un soutien à tous les acteurs de la chaîne du livre, de l’auteur à la bibliothèque. Nous voulons développer une ambitieuse politique de la lecture, puisque son apprentissage, de même que celui de l’écriture sont au cœur des missions de l’école. Il y a des liens très forts entre la formation, les sciences et la culture. Il faut les préserver, les cultiver. Et c’est bien ce que je compte faire. Enfin, un important travail législatif a été réalisé ces dernières années. Il a doté le canton de Vaud d’outils modernes et de cadres appropriés en matière de culture et de patrimoine, comme la LPMI (Loi sur le patrimoine mobilier et immatériel) ou la Loi sur la vie culturelle et la création artistique (LVCA) qui règle l’encouragement et de soutien à la vie culturelle. La récente loi sur les écoles de musique (LEM) permet désormais aux élèves d’avoir accès à un enseignement musical de qualité sur l’ensemble du territoire, dans des écoles reconnues et en complément des cours donnés à l’école. Nous allons tirer le meilleur parti de ces instruments pour faire rayonner la culture vaudoise !

A l’heure des réseaux sociaux et de Netflix, comment sensibiliser les jeunes à la richesse culturelle vaudoise ?

Il ne faut pas opposer la révolution numérique que nous vivons à la culture ! Le numérique permet aujourd’hui, à la fois un accès instantané et parfois très complet à la culture – prenez par exemple l’accès en ligne aux archives et au patrimoine numérisé – et une nouvelle forme de création artistique. Le numérique sert à la réalisation d’œuvres, dans les arts plastiques comme dans les arts vivants. Mais plus concrètement, pour renforcer l’intérêt et la sensibilité des jeunes à la culture, l’école doit être un lieu central d’accès aux formes culturelles. Elle permet de transmettre à tous, quel que soit son origine sociale ou sa région, de découvrir la multitude des formes culturelles et la création artistique. A la rentrée d’août 2018, un appel à projet « La culture, c’est classe ! » a été lancé par la structure Culture-Ecole du Service des affaires culturelles pour encourager et soutenir des projets culturels et collaboratifs en milieu scolaire. Co-créés et réalisés par des enseignants et des artistes, les projets visent à sensibiliser et à confronter les élèves à des domaines des arts et de la culture. Et ce sera interactif, avec l’intervention régulière d’artistes directement dans les classes. Il s’agit certes de continuer à faire découvrir aux élèves des lieux de cultures, mais également de faire venir la culture dans les classes. C’est un peu comme le numérique, c’est ici, là-bas et partout à la fois. La formation, le numérique et la culture ne sont pas à opposer, ils se complètent. Et ils ont ensemble une place de choix dans notre école vaudoise.