
16 Oct Francesco Della Casa
Architecte cantonal
Une révolution dans la construction durable à Genève?
Dans cette interview exclusive, Francesco Della Casa, architecte cantonal de Genève, nous partage sa vision pour l’avenir de la ville, à l’aube de sa transition écologique. À travers des initiatives telles que celles de la fondation PAV, Genève explore des solutions pour densifier les zones existantes et transformer des espaces sous-utilisés en logements. Alors que la ville se prépare à relever les défis de la construction durable, l’architecte évoque les atouts dont dispose Genève pour atteindre ses objectifs, tout en répondant aux besoins croissants de logement pour sa population.
Quelle est la portée des récentes évolutions dans la LCI ?
La loi sur les constructions et installations (LCI) introduit des principes très clairs pour encadrer l’impact environnemental des constructions. En 2022, les articles 117 et 118 ont été votés par le Grand Conseil genevois, avec une entrée en vigueur progressive qui devrait permettre leur application pleine et entière d’ici 2034. Ces deux articles, intégrés à la loi cantonale genevoise, visent à réduire de manière significative l’empreinte carbone du secteur du bâtiment. L’article 117 impose que toute nouvelle construction ou rénovation d’importance soit conçue à partir de matériaux minimisant leur impact environnemental. Cela inclut le réemploi des matériaux existants, leur recyclage, ou l’utilisation de matériaux à faible empreinte carbone. L’article 118 vient compléter ce cadre en précisant les critères de calcul de l’impact carbone de chaque matériau, sur la base d’une analyse du cycle de vie. Cette approche exige une collaboration étroite entre les autorités, les architectes et les entreprises de construction. L’application de la loi commencera en 2025 via des projets pilotes, puis sera progressivement étendue jusqu’en 2034, date à laquelle tous les projets, publics comme privés, devront respecter des valeurs cibles strictes.
Quel impact cette loi aura-t-elle sur les pratiques de la construction à Genève, notamment sur les déchets produits par les chantiers ?
Les chiffres sont révélateurs de l’ampleur du défi. En 2019, Genève a produit 5 millions de tonnes de déchets ordinaires, dont 4,5 millions de tonnes provenaient des chantiers de construction. Bien que 67% de ces déchets aient été recyclés, une partie importante (30%) a été envoyée en décharge et 3% a été incinérée. Par ailleurs, les déchets de chantier ont augmenté de 36% entre 2015 et 2019. Cette situation met en lumière le besoin urgent de repenser la gestion des déchets dans le secteur de la construction. Grâce à la LCI, l’objectif est de réduire drastiquement la quantité de déchets envoyés en décharge, tout en améliorant le recyclage et le réemploi des matériaux. Ce changement est d’autant plus crucial que les émissions de gaz à effet de serre liées à la démolition et à la reconstruction d’immeubles sont bien plus importantes que celles générées par l’exploitation des bâtiments eux-mêmes. Les articles 117 et 118 visent donc à renforcer cette dynamique en favorisant le réemploi des matériaux, l’utilisation de matériaux recyclés ou à faible empreinte carbone, et en réduisant les émissions de GES sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments.
La transformation de bureaux en logements: une solution pour répondre à la pénurie de logements ?
Ces dernières années, plusieurs projets ont prouvé que la transformation de bureaux en logements est une alternative viable à la construction de nouveaux bâtiments. À Genève, cette approche permet d’éviter la démolition, de limiter l’impact carbone et de valoriser des bâtiments existants souvent bien situés. Au 14 chemin de Normandie, un ancien immeuble d’assurance des années 1960-70 sous protection patrimoniale, a ainsi été transformé avec succès à la suite d’un concours d’architecture. L’opération a permis d’optimiser de grands plateaux baignés de lumière naturelle, sans détruire l’existant. Le projet final offre un niveau de qualité largement supérieur à celui d’une construction classique, tant en termes d’habitabilité que de performance environnementale.
Autre exemple remarquable : la transformation des bureaux de la Banque Lombard Odier, situés entre le 16 et 22 de la rue de la Corraterie. Ce secteur est bordé d’élégants immeubles dont les intérieurs présentent moulures, pièces en enfilade, hauteurs sous plafond de 3,50 m… Ici, le projet prévoit la création d’environ 32 logements haut de gamme, avec un cahier des charges très strict : conserver un maximum d’éléments de surface et préserver l’identité architecturale des lieux. D’autres initiatives suivent cette dynamique : un important acteur immobilier envisage ainsi de reconvertir les anciens locaux de La Poste. Le résultat offre un bilan CO2 spectaculaire, avec seulement 30 tonnes de CO2 émises, soit 20 à 30% de moins qu’un projet neuf équivalent. Malgré les contraintes techniques et les défis de mise aux normes, ces transformations ont prouvé leur faisabilité. Il est également intéressant de noter qu’en deux ans, ces reconversions ont permis de créer davantage de logements que l’ensemble des projets de surélévation réalisés en quinze ans. Ainsi, même si la réserve de surfaces de bureaux vacantes reste modeste, leur réaffectation constitue une piste crédible et efficace pour répondre à la fois à la pénurie de logements et aux enjeux climatiques du secteur de la construction.
Quels sont les autres défis que doit relever Genève pour bâtir la ville de demain ?
Genève dispose de nombreux atouts pour mener à bien cette transition écologique. Grâce à des initiatives comme celles de la fondation PAV, il est possible de densifier les zones existantes et de transformer des espaces sous-utilisés en logements. En 2024, 65% des terrains dédiés au logement sont considérés comme aménageables, ce qui permettrait de construire plus de 7000 logements. Par ailleurs, la faible densité des zones industrielles (ZI) offre également un potentiel important : 140 hectares supplémentaires sont à densifier et transformer. Cette dynamique représente une réelle opportunité pour construire une ville plus durable et plus verte, tout en répondant aux besoins de logement de la population. L’application des nouveaux principes de construction bas carbone, en parallèle avec la gestion des matériaux de manière plus circulaire, permettra de renforcer cette transition, en réduisant l’empreinte écologique de la ville.
Comment se déploiera la mise en œuvre de ces réformes ?
Le déploiement des nouvelles normes de la LCI se fera progressivement sur plusieurs années. À partir de 2025, des projets pilotes seront réalisés pour tester l’application de ces nouvelles règles. De 2029 à 2034, l’ensemble des requérants devra respecter les principes bas carbone pour la conception de leurs projets. Dès 2034, les exigences seront renforcées, et les projets devront respecter des valeurs cibles strictes d’empreinte carbone pour tous les bâtiments publics et privés. Les entreprises devront également faire face à une transformation des métiers du bâtiment, avec une montée en compétences sur les techniques de déconstruction, de recyclage et de gestion des matériaux. Cela aura un impact sur la compétitivité des entreprises locales, qui devront s’adapter à ces nouvelles exigences environnementales.
Comment imaginez-vous Genève à l’horizon 2050 ?
Je l’imagine encore plus verte, plus dense, mais aussi plus agréable à vivre. Un urbanisme du XXIe siècle qui remet l’humain et le paysage au centre. Aujourd’hui, 90% des habitants se trouvent déjà à moins de cinq minutes d’un espace naturel et nous voulons renforcer cela. Genève doit rester une ville belle à regarder, où il fait bon vivre – comme elle l’était au début du XXe siècle – mais avec des infrastructures et des services à la hauteur des enjeux contemporains.
Photo principale: © Burckhardt Architecture SA