Francesco Della Casa

Architecte cantonal

 

Genève, un modèle en certains points que beaucoup regardent

Architecte cantonal depuis 2011, Francesco Della Casa tient un rôle important dans un canton où les projets ne manquent pas. Petits comme colossaux, ils occupent son quotidien au cœur d’un environnement qui lui plaît et qui présente sur certains points des particularités uniques en Europe, voire au-delà. Pour en savoir plus sur ce qui se joue et se prépare, il répond à nos questions.

Que pensez-vous du PLQ1 Acacias?

Voilà une affaire qui nous a occupés durant des années et qui a été difficile à mettre en place, le site étant occupé par un parcellaire complexe. Pour moi, il est l’un des meilleurs plans d’urbanisme depuis 50 ans, si ce n’est le meilleur. Evidemment, comme toujours, il engendre des polémiques mais elles ont cela de bon que nous devons toujours faire plus pour prouver à la population que la qualité architecturale sera au rendez-vous. Par ailleurs, face à l’urgence climatique, il est impérieux d’intervenir dans le PAV, car selon les relevés, il est le quartier le plus chaud du canton. Si la température augmente encore de quelques degrés, il pourrait devenir impossible d’y travailler en été. Ce fut donc un soulagement que le oui l’emporte largement lors de la votation. Cela va nous permettre de démarrer très rapidement un premier chantier, pour lequel l’autorisation de construire a été délivrée. Ainsi, la remise à ciel ouvert de la rivière la Drize, en remplacement d’un parking rue Boissonnas, va lancer des opérations qui s’étaleront sur des dizaines d’années. En effet, tout va aller au rythme des nombreuses contraintes, comme les changements de droits de superficie, donc autant de négociations qui prendront du temps.

Comment réagissent les entreprises présentes et seront-elles relogées?

Certaines sont réticentes, d’autres non. Quant au relogement, il n’y a pas de règles. Des entreprises feront le choix de garder leur activité, de trouver un endroit qui leur convient pour se réinstaller et de négocier pour ce faire. D’autres cesseront tandis que certaines préféreront attendre l’extinction de leur droit de superficie. Chaque cas est vraiment différent.

Par qui est géré l’aspect immobilier de ce futur nouveau quartier?

En 2019, le Canton de Genève a créé la Fondation PAV dans le but de faciliter la mise en œuvre de ce projet d’urbanisation. C’est elle qui va jouer le rôle d’opérateur en ayant pour ce faire des personnes très compétentes à sa tête. Ce sont eux qui donneront les conditions précises qui permettront de garantir la qualité urbaine.

Quel projet vous tient spécialement à cœur actuellement?

C’est un projet très atypique pour plusieurs raisons. Il s’agit du bâtiment Porteous sur la presqu’île d’Aïre, une ancienne usine de 3600 m2, propriété de l’Etat, qui était en déshérence depuis 22 ans. A l’origine, elle servait au traitement des boues d’épuration. Ce bel édifice a été occupé pendant quelques mois par le mouvement « Prenons la Ville » qui l’a quitté mais qui est resté très présent pour son futur développement. Comme nous avions déjà pu le vivre pour le quartier des Grottes, les squatteurs sont aujourd’hui totalement impliqués. Ils sont devenus des partenaires pour qu’ensemble nous réinventions le potentiel du lieu, nous identifions les difficultés et gérions les menaces d’incidents majeurs pouvant survenir. Une vraie relation de confiance s’est mise en place. En juin dernier, nous avons pu inaugurer un premier espace de 140 m2 qui sert de « cabane de chantier » où nous pouvons dorénavant discuter de la vocation future de cette bâtisse plutôt spéciale. Nous ne voulons rien forcer, c’est elle qui dira ce qu’elle peut accueillir en prenant en compte le fait d’être implantée sur un site naturel protégé, au biotope sensible. Accueillir des foules en masse n’est donc pas sa destinée. Pour discuter, analyser, penser le futur, aux pionniers impliqués s’ajoutent les riverains, les élèves du collège à proximité, les SIG… beaucoup d’acteurs différents pour avoir au final, un lieu hors du commun, pleinement réfléchi et mûri avec le temps.

Quelle serait la Genève de vos rêves?

C’est celle qui se fait aujourd’hui, car Genève est belle. Cela, beaucoup de résidents l’oublient ou ne le voient pas. Par contre dès qu’on la regarde depuis l’extérieur de ses frontières, en Suisse comme à l’étranger, elle est considérée comme une belle ville. Au-delà de son esthétique, elle est beaucoup regardée, comme depuis Zurich par exemple, pour d’autres atouts. Je vais vous parler de celui qui est le plus spectaculaire, c’est l’eau ! N’oublions pas que dans les années 60-70, il était impossible de se baigner dans le lac tellement il était pollué. Un travail titanesque a été mené par tout le bassin pour en faire ce que nous connaissons et apprécions aujourd’hui, un lac où il fait bon passer du temps. Autre point fort autour de l’eau, la renaturation des rivières, un projet exemplaire au niveau européen. Ainsi l’Aire et la Seymaz, canalisées au 20e siècle pour l’agriculture, ont retrouvé la sécurité, puisqu’elles pouvaient déborder gravement à tout moment, et leur biodiversité. Ce travail a été mené de front par de nombreuses personnes, spécialistes, riverains, services cantonaux et élus. Son exemplarité a valu à ses acteurs de rafler de très nombreux prix nationaux et internationaux. Genève est également exemplaire au niveau énergétique. D’une part, la diminution de la consommation par habitant est avérée, d’autre part, le canton a la chance d’avoir beaucoup de ressources (réseaux de chauffage à distance, GéniLac) et de pouvoir bénéficier, même si nous en sommes aux balbutiements, de la géothermie. Par ailleurs, beaucoup parlent de la nécessité de planter plus d’arbres, c’est intéressant mais n’oublions pas que le taux de végétalisation compte déjà parmi l’un des plus élevés en Europe. Au final, si on additionne la qualité de l’eau, la végétalisation, l’architecture, l’urbanisme et l’énergie, je peux dire sans sourciller que tout ceci fait la Genève de mes rêves!