
01 Sep FSFL – Fédération des sociétés fribourgeoises de laiterie
André Brodard
Producteur de lait, une profession face à de nombreux défis
Les investissements pour rénover ou entretenir une fromagerie, qui vont toujours crescendo, et la diminution de la production laitière, due à l’arrêt de paysans lassés de leur quotidien, donnent à s’interroger pour le futur. Si rien encore, dans les deux cas, alimente des signaux dans le rouge, les questions quant à demain et ce qu’il en deviendra du lait restent ouvertes et interrogent. Pour nous expliquer en détail l’état actuel de la filière rencontre avec André Brodard, directeur de la FSFL.
La FSFL en chiffres
Le but de la FSFL, fondé en 1915, n’a pas changé puisqu’aujourd’hui encore elle met tout en œuvre, dans son rayon d’action, pour améliorer la situation économique de son secteur par une mise en valeur judicieuse du lait et des produits laitiers afin d’obtenir un prix couvrant les frais de production et correspondant à la valeur nutritive. Elle défend ainsi les intérêts généraux de ses membres, installés dans le canton de Fribourg, composés en 2024 de 140 sociétés de laiterie, dont 78 sont propriétaires d’une fromagerie, 38 fabricants d’alpage et 1144 producteurs. Parmi ces derniers, 819 sont spécialisés pour le lait de fromagerie et 454 pour le lait de centrale. A eux tous, ils cumulent quelques 325 millions de kilos de lait produits en 2024. La FSFL gère également l’association des producteurs de lait CREMO avec ses quelque 350 membres établis sur le canton de Fribourg. Les producteurs fribourgeois livrent également leur lait à Milco SA, Nestlé Broc et Elsa. En plus du Vacherin Fribourgeois AOP, les fromageries en grande majorité propriétés des producteurs de lait, fabriquent plus du 50% du Gruyère AOP produit en Suisse. En 2024, la FSFL avait sous gestion plus de 325 millions de kilos de lait, ce qui en fait l’une des principales fédérations laitières de Suisse.
Qu’en est-il des investissements et l’entretien des sociétés laitières ?
Il faut savoir qu’une laiterie a une durée de vie d’environ 20 ans. Pour répondre aux normes d’hygiène et autres, elles doivent donc subir des travaux et être rénovées à cette moyenne de 2 décennies. Ceci a un coût qui va toujours grandissant puisqu’en seulement quelques années, le prix a tout simplement doublé. Il en va de même pour celui de l’entretien. Durant une longue période, ce dernier se répercutait à hauteur de 1 centime sur 1 kg de lait, aujourd’hui on est à 2 centimes.
Ces coûts qui vont grandissant engendrent-ils des problèmes pour les sociétés laitières et les fromagers ?
Vu l’explosion des prix, une fromagerie qui tournait auparavant à une moyenne d’1 million de litres de lait par année pouvait s’en sortir, maintenant en-dessous de 3 millions, c’est compliqué voire impossible d’investir pour une nouvelle fromagerie. Evidemment toutes sont différentes, déjà par leur emplacement. Jusqu’à fin 2024, seules les fromageries en zone montagne avaient le droit par exemple à une aide à fonds perdus pour leurs investissements. Cette dernière est financée par la Confédération et le Canton. Dès 2025, les fromageries en zone de plaine pourront bénéficier d’une aide mais à un niveau plus bas.
Dans le rayon de la FSFL, la moyenne des livraisons est de 2,35 millions de kg de lait par fromagerie. Devant la situation, certaines se regroupent et fusionnent pour réunir sous un même toit le matériel nécessaire et ainsi éviter des frais à doublon. Elles pourraient aussi faire le choix de continuer seules mais là les tarifs refacturés aux fromagers exploseraient totalement ! Quoi qu’il en soit, aujourd’hui le fromager achète plus cher mais sans augmenter ses tarifs. En effet, l’Interprofession du Gruyère a recommandé des prix de vente. Si rien n’oblige à les suivre, ils sont pourtant respectés par tous.
Autre sujet d’actualité, la diminution de la production laitière. Comment l’expliquez-vous ?
Force est de constater que la courbe de production de lait descend régulièrement. Plusieurs raisons se cachent derrière elle. Parmi celles-ci, on trouve les horaires astreignants et le manque de temps libre qui est difficile à vivre pour les jeunes générations. Quand leurs amis ont terminé le travail le vendredi soir et se retrouvent en week-end, pour eux, il n’en va pas de la sorte. Les animaux demandant une présence continuelle ! Si leurs revenus s’en trouvaient élevés, peut-être qu’ils verraient les choses différemment et que la lassitude serait moins présente, mais tel n’est pas le cas.
De plus, malgré tout le travail fourni et les heures passées, aucun paysan ne couvre ses frais de production. Pour vivre et survivre, il a les subventions de la Confédération faute de quoi il serait dans le rouge en permanence puisqu’un kg de lait revient aujourd’hui tout confondu à environ 1,20 franc et qu’il est vendu à 0,94 franc (exemple pour du lait de Gruyère AOP). On peut comprendre qu’il est frustrant de s’investir en permanence et de ne pas arriver à s’en sortir sans aide. Pour cette raison, ils sont beaucoup à délaisser le lait pour se tourner vers la production de viande. A ces raisons financières s’ajoutent les attaques permanentes contre le monde agricole. Si elles émanent d’une minorité, cette dernière reste très forte pour faire du bruit et mener des initiatives de plus en plus virulentes. Il serait peut-être bon qu’elle sache qu’une vache broute un herbage qui capte du CO2. Si on devait le remplacer par des plantes protéinées, comme il est souvent fait état, le captage serait inférieur. Différentes analyses menées sur des exploitations prouvent ces dires et montrent que même avec la présence de vaches dans des prairies, on est proche du 0 carbone. On comprend mieux pourquoi les paysans sont lassés de ces combats inutiles et de passer régulièrement pour des pestiférés. La bonne question à se poser est plutôt de savoir ce que nous deviendrons sans eux ! Des affamés car pas de paysans = rien à manger !
Existent-ils des solutions ?
Pour le lait, si le rendement est en baisse permanente, pour autant nous ne sommes pas encore en zone rouge, autant pour celui de centrale que celui de fromagerie. Ce dernier oblige à plus d’astreintes, comme par exemple pour l’alimentation à donner aux vaches. Le foin doit être généré par le paysan. Quand on vit des années comme 2024 avec une météo déplorable, on comprend sans mal que la qualité du fourrage est déplorable. Ceci ajoute à la lassitude. Une solution pour s’en sortir est de changer de voie et de se tourner vers le lait de centrale, beaucoup moins astreignant. Après, il faudrait aussi que les grandes enseignes qui inondent le marché de publicité vantant la baisse des prix sur 1000 produits de première nécessité concertent ceux qui en sont à l’origine. Si ce sont eux qui doivent en faire les frais, les supermarchés n’étant pas connus pour aimer baisser leurs marges, on peut anticiper sans mal un nombre encore plus important de cessation d’activité ! L’espoir réside dans la passion de la terre et des bêtes qu’ont nombre de femmes et d’hommes. Pour les faire perdurer, ils n’ont d’autres moyens aujourd’hui que de se réinventer, de diversifier leurs propositions. C’est une solution qui a déjà fait ses preuves mais elle oblige à des sacrifices. Définitivement, nous évoluons dans des métiers difficiles, heureusement, une large majorité de personnes en est consciente !
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