Léonard Gianadda

Quand une richesse est incalculable

Il est midi. J’entre dans l’antre où tout se joue. Léonard Gianadda me fait prendre place. L’atmosphère n’est en rien calme au contraire, le ballet des collaborateurs n’a de cesse. Tantôt une inauguration, une bénédiction, un voyage, une rencontre… sont à l’ordre du jour. Chacun a droit à son enregistreur sur lequel notre homme laisse les directives. Tout va vite, très vite, le temps presse, il lui reste encore tellement à faire et pourtant il a déjà tant fait ! Vient mon tour. Le mécène se calle dans son fauteuil, il est prêt à se plier au jeu des questions.

Le mécénat, tel que vous le pratiquez, a-t-il encore un avenir ?

A mon sens, si je me cantonne à la Suisse, il est peu développé et pourtant il y a un terrain fertile. Le mécénat n’est pas une chose que l’on se voit dicter, proposer, c’est un acte personnel. On sait quand on se lance que l’on n’a rien à vendre, qu’il n’y aura pas de retour sur investissement. Si je me réfère à mon expérience, on a pourtant tout à gagner mais sur des facettes qui sont très loin de considérations financières. Aux USA, la pratique est beaucoup plus développée et il serait bien qu’il en soit de même chez nous, car c’est important voire essentiel de le pratiquer.

Est-ce qu’une exposition réalisée à la Fondation Pierre Gianadda vous a plus spécialement marquée ?

La prochaine ! C’est à chaque fois une nouvelle excitation, un nouveau bonheur et de grands moments de partage avec mes équipes et mon réseau que de monter une nouvelle exposition. A Martigny, nous en proposons 2 à 3 par année qui sont toujours marquantes et font venir un large public. Pour preuve, à la fin 2019, nous avions accueilli plus de 10 millions de visiteurs depuis l’ouverture de la Fondation, le 19 novembre 1978. Pour revenir à votre question, disons que l’exposition Soulages m’a marquée. J’avais déjà été fortement interpellé par les vitraux contemporains qu’il a réalisés à l’abbatiale de Conques. Cela tenait quelque part d’une révélation, l’accueillir à la Fondation allait de soi. Aussi puissante est son œuvre, aussi unique est son Outrenoir. Malheureusement cette exposition n’a pas tenu toutes ses promesses au niveau des visiteurs, c’est dommage car regarder un tableau de Soulages c’est un voyage, un moment rare.

Quand vous léguez vos biens restants à votre nouvelle Fondation, Léonard Gianadda-Mécénat, qu’est-ce que vous vous dites intérieurement quand vous signez l’acte constitutif ?

Bon débarras ! Plus sérieusement, je suis empli de satisfaction et de bonheur. Je sais que par cette Fondation une des clés de ma vie qui a été le mécénat va se perpétuer. Je l’ai longuement mûrie, installée au plus juste en lui donnant une petite centaine de millions de francs en biens immobiliers dont elle touchera des royalties sans entamer le capital. Cet argent permettra de continuer la voie que j’ai ouverte. Quand on mène une vie comme la mienne c’est un aboutissement de pouvoir en arriver là et un bonheur qui ne se quantifie pas, qui n’a pas de prix mais qui vaut plus que toutes les fortunes !

Pourquoi les plus grands musiciens et chanteurs aiment venir se produire à la Fondation ?

A en croire leurs récits, tous disent la même chose : ils apprécient spécialement l’accueil et l’environnement. Si je prends l’exemple de Cecilia Bartoli, chanter au milieu d’œuvres de Renoir a été unique pour elle. Ce fut une conjugaison parfaite entre deux arts majeurs. Elle a été sensible à cela et en a retiré autant de plaisir à vivre ce moment que nous à l’écouter. Pour les artistes, la Fondation est propice à l’inspiration et il s’y passe des choses souvent uniques comme lors du dernier passage de Renaud Capuçon, en 2019, qui a joué avec un violon ayant appartenu à Isaac Stern qui c’était lui-même produit à la Fondation, il y a plus de 30 ans ! Et je ne vous parle pas des entractes, qui se déroulent dans notre jardin donné comme un des plus beaux parcs de sculptures d’Europe, et qui font le bonheur de nos hôtes.

Quels sont les petits bonheurs de votre vie ?

Ce ne sont pas des petits mais des grands bonheurs : l’opéra et la gastronomie ! Pour parler du premier, je suis abonné depuis 40 ans à la Scala de Milan. J’aime également la nouveauté comme cette récente découverte du Giulio Cesare de Mozart qui m’a marquée. Voilà un des bonheurs de ma vie, quant au second il se joue à table. Même si un bon sandwich peut faire mon plaisir, il est vrai que j’apprécie la gastronomie et des spécialités typiques d’un lieu comme les crêpes vonassiennes de chez Georges Blanc à Vonnas…

Quels sont vos qualités et vos défauts ?

Je ne vais citer qu’un exemple pour chacun mais assurément marquant ! Concernant ma qualité première, je vais dire la générosité quant à mon pire défaut, je dirais l’impatience. Je sais que cela en agace, voire énerve plus d’un, mais c’est involontaire, le temps me manque et j’aime que tout aille vite !

Ses madeleines de Proust

• Un pays : la Suisse
• Une ville : Martigny avec ses peines et ses joies
• Une heure de la journée : le moment où je me mets au lit, ce moment de calme
• Une couleur : le vert de la Maison Rolex
• Un plat : une spécialité familiale de mon village d’origine en Italie, la polenta à la morue
• Un dessert : des fruits
• Un vin : tout dépend des plats mais le Bourgogne Blanc emporte mes primeurs