Mauro Poggia

DSES – Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé

 

« Ne pas laisser de terrain à la meute hurlante des réseaux sociaux »

Confronté directement à la pandémie, depuis 2 ans, Mauro Poggia, en charge du Département de la sécurité, de la population et de la santé, est sur tous les fronts. Face à une Covid, toujours présente, les décisions prises et à prendre accaparent un quotidien bien chargé. Pour nous parler de la manière d’appréhender les choses et de trouver les meilleures solutions, tout comme de la situation de la sécurité à Genève, le Conseiller d’Etat répond aux questions de Bien Vivre.

On peut parler, aujourd’hui, de 2 années de pandémie et de vie chamboulée. Pour autant, est-ce que cette pandémie a eu des effets positifs ?

Pour moi, il y a toujours quelque chose à apprendre d’une crise. Avant elle, je voyais le télétravail, soyons honnête, comme un gadget pour tir au flanc. Pourtant, force est de constater qu’il a été très important dans de très nombreux cas. Il en est ressorti un gain de temps et une qualité de travail avérés, même si l’on a remarqué qu’il incitait certains à s’imposer moins de barrières entre leurs vies privées et leurs vies professionnelles. Dans la fonction publique, qui est souvent créditée, à tort, de lourdeur, voire de paresse, il a permis de redorer son image et de mettre en avant des collaborateurs qui ont su s’adapter, être créatifs et trouver des solutions à des situations nouvelles. Par leur investissement, l’Etat était fort, bien structuré et armé pour combattre cette crise. Autre point positif, cette fois dans le domaine sanitaire, c’est la collaboration entre les établissements publics et privés qui étaient difficile jusque-là. Ils ont su, en un temps très court, s’organiser et travailler de concert pour faire des HUG l’hôpital Covid centralisé du canton. Au final, je pense également que, dans tous les secteurs d’activités, sont nées de belles solidarités devant l’adversité. Le défi de l’après-crise est de voir si tout cela perdurera.

A l’heure où nous parlons, nous sommes début décembre, avez-vous peur de la Covid ?

Je suis inquiet devant le fait de devoir, à nouveau, être porteur de mauvaises nouvelles. Aujourd’hui, avec un nouveau variant dont nous ne connaissons pas encore beaucoup de choses, mais qui semble se répandre très rapidement et qui risque fort de prendre le dessus sur le Delta, je crains, même si on méconnaît encore sa résistance aux vaccins, que tout ceci nous ramène à revivre des heures sombres où il a fallu prendre des mesures difficiles. Au moment, où nous nous parlons c’est encore une grande inconnue. Il faut espérer que les vaccins seront puissants contre l’Omicron, faute de quoi, si nous devons attendre des formules adaptées, rien ne sera là avant la fin de l’hiver, d’où mon angoisse. De plus, cela sera compliqué de dire aux gens, « faites la 3e dose », si on nous annonce qu’elle n’est pas suffisamment efficace pour le nouveau variant. Il ne reste plus qu’à attendre le retour des laboratoires et respecter en tout temps les gestes barrières. Eux au moins, on les maîtrise.

En dehors de la Covid, quels dossiers, liés à la santé, vous accaparent le plus ?

De manière générale, c’est la coordination des soins et le dossier électronique du patient pour lesquels nous travaillons avec Cara et les autres cantons romands. Devant les règles émises par la Confédération, il nous a été obligatoire de revoir la configuration du dossier, ce que l’on a fait en toute urgence, maintenant les patients doivent se réinscrire. C’est impératif car ce dossier va permettre d’améliorer la circulation de l’information, autour de la santé de chacun, entre les différents professionnels. Par ailleurs, il nous est enfin possible, par canton, de limiter l’implantation de nouveaux cabinets médicaux ce que nous allons mettre en œuvre dès 2022. Ceci est très important et va aider à la maîtrise des coûts de la santé pour pouvoir continuer à offrir à tout le monde, une médecine de haute qualité sans restriction financière.

Au niveau sécurité, comment se porte Genève ?

Les statistiques vont dans le bon sens. Dans tous les domaines, nous notons une baisse de la délinquance et de la criminalité. Seules les violences domestiques sont en hausse. Pour moi, il y a deux raisons à cela : la manière d’appréhender les plaintes, avec des obligations pour la police d’être beaucoup plus précise pour leur enregistrement, ce qui induit, par effet domino de faire grimper les chiffres. Le confinement qui n’a pas arrangé les choses dans de nombreux cas. Par ailleurs, j’entends les personnes qui ressentent un sentiment d’insécurité qui, je le répète, selon les statistiques est en décalage avec la réalité. C’est vrai qu’il y a des délits, comme des arrachages de montres, même en plein jour, qui m’interpellent. Si la Suisse ne s’en est pas mal tirée face à la crise, pour d’autres pays, c’est plus compliqué. Ceci a attiré chez nous une délinquance qui ne trouve plus ses victimes chez elle. Pour aller contre ce phénomène, la police a renforcé sa présence sur le terrain et ses actions même si les frontières rendent difficiles le travail, rentrer en Suisse est simple et en repartir une fois les forfaits commis, tout autant.

D’ici 5 ans, comment aimeriez-vous qu’évolue Genève ?

En tant que Conseiller d’Etat, j’aimerai, que d’ici 5 ans, la confiance dans les autorités soit restaurée et entre les autorités, renforcée. Aujourd’hui, on est dans un monde de constante défiance voire de méfiance. Certains pensent que lorsque l’on est au pouvoir, on est prêt à tout pour y rester. Cela, pour moi, est insupportable. Il y a également ce contre-pouvoir grandissant qui alimente son discours par des fake news. Il est pire que le pouvoir, si l’on y réfléchit, puisqu’il n’a aucune légitimité démocratique. Pourtant cette minorité bruyante est très audible. Et parce qu’elle est audible, il faut faire attention à ce que la majorité silencieuse ne lui prête pas plus d’attention qu’elle n’en mérite, continue à croire en ses valeurs et ne laisse pas du terrain à ces manipulateurs qui refusent le dialogue et mettent tout en œuvre pour imposer leurs idées en usant de la terreur, tout ceci, pour soi-disant défendre leur liberté ! Donc dans 5 ans, j’aimerais que nous ayons réussi à réinstaurer la confiance entre les élus et les citoyens et que ces derniers croient en eux et ne les mettent pas sur un pied d’égalité avec la meute hurlante des réseaux sociaux.